Se souvenir de la Retirada, pour ne pas oublier
En janvier 1939, suite à la chute de Barcelone et de la seconde République espagnole, plus de 450 000 personnes ont pris le chemin de l’exil vers la France. Un exode que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de "Retirada". C’est cet épisode douloureux et plein d’enseignements pour notre présent, que le département des Pyrénées-Orientales commémore dans plusieurs lieux, avec la population et les visiteurs.
La chute du front de Catalogne et la prise de Barcelone par les troupes franquistes le 26 janvier 1939 provoque la retraite de l’armée Républicaine. Militaires et civils fuient vers la frontière ouverte dès le 28 janvier. En moins de 15 jours, ce sont environ 500 000 personnes qui franchissent en ordre désordonné les Pyrénées. Une grande partie des réfugiés est envoyée vers le littoral de l’actuel département des Pyrénées-Orientales (66) où des camps d’internement sont installés à l’improviste.
Un acceuil mitigé de la part de la République-soeur
A l’époque, le gouvernement français avait envisagé bien l’afflux de réfugiés à sa frontière, mais jamais dans de telles proportions. Il se retrouve bientôt débordé par la situation.
Pendant la guerre civile espagnole, le gouvernement français a pratiqué une politique de non-intervention, tout en fermant les yeux sur le trafic d'armes en soutien aux Républicains. La France de 1939 est loin d’être pour les Espagnols la République-sœur dont ils espéraient obtenir réconfort et soutien. Rongée par la crise économique, en proie aux sentiments xénophobes et au spectre d’une nouvelle guerre avec l’Allemagne, la société française offre aux réfugiés un accueil plus que mitigé.
« Beaucoup de ces personnes se sont finalement installées sur notre territoire et elles ont contribué à forger la diversité de notre population. Cet épisode dramatique a marqué des générations entières et toutes les Pyrénées-Orientales » avait souligné dans une allocution officielle en ouverture des commémorations du 80e anniversaire Hermeline Malherbe, la présidente du département des Pyrénées-Orientales.
La mémoire du drame de l'exil à Argelès-sur-Mer
Situé en plein cœur de la vieille ville, le Mémorial d’Argelès-sur-Mer permet d’emblée de comprendre l’importance de l’exode espagnol et les conditions éprouvantes dans lesquelles les réfugiés arrivèrent en France. Au rez-de-chaussée, l’exposition permanente présente la guerre civile espagnole, la Retirada et la vie dans le camp d’Argelès-sur-Mer.
Elle nous explique comment plusieurs camps d’internement dont ceux de Saint-Cyprien, Le Barcarès et bien-sûr Argelès-sur-Mer, furent aménagés à la hâte pour retenir les nombreux exilés. Dans la salle ouverte au public, de nombreux supports interactifs accessibles à tous les visiteurs permettent de dérouler et de comprendre ce drame historique de l’exil et des déplacements de population.
« Quand nous avons commencé à commémorer la Retirada, j’ai reçu des lettres anonymes. En tant que fils de Républicain espagnol, on me disait que nous n’avions qu’à rentrer chez nous. J’en ai parfois pleuré. Pendant que nous étions à la guerre, vous avez pris nos femmes et notre travail ont déclaré certains de mes administrés » explique Pierre Aylagas, Président de la Communauté de Communes des Albères et de la Côte-Vermeille, ancien maire d’Argelès-sur-Mer et député de la 4e circonscription des Pyrénées-Orientales de 2012 à 2017.
Mémorial du camp d’Argelès-sur-Mer
26 Avenue de la Libération
66700, Argelès-sur-Mer
France
Tél : +33 4 68 95 85 03
En marchant sur le chemin vers la Tour de la Massane, un panneau indique au randonneur qu’il se trouve sur les Chemins de la liberté. C’est ici que les Républicains espagnols sont notamment passés par le massif des Albères pour fuir les troupes du général Franco. Aujourd’hui les sentiers s’empruntent à pied ou à vélo électrique.
Le saisissant Mémorial du camp de Rivesaltes
Autre lieu, autre drame. Visiter le Mémorial du camp de Rivesaltes inauguré en 2015, c’est partir sur les traces d’un lourd passé historique. Si le village, situé au nord de Perpignan, est bien connu pour ses vignerons, la visite de son Mémorial est une étape indispensable pour comprendre l’histoire récente de France qui fait lourdement écho aux nouveaux phénomènes de migrations en Europe. Dès l’arrivée au Mémorial du camp de Rivesaltes, les visiteurs sont profondément saisis par l’architecture sobre et minimaliste du bâtiment. Elle a été conçue par l’architecte Rudy Riccioti pour se fondre dans ce paysage de garrigue.
A l’origine camp d’internement pendant la Retirada, le site de Rivesaltes servit également pendant la Seconde Guerre mondiale à la rétention des réfugiés juifs et des tziganes français avant leur déportation à Auschwitz, puis à celle des Harkis après la guerre d’Algérie ou encore des réfugiés Guinéens en 1963.
Petit retour en arrière. Le 12 novembre 1938, la France promulgue une loi qui permet l’internement administratif de ceux qu’on appelle alors les « indésirables étrangers ». Autrement dit, l’État autorise l’arrestation et l’internement des individus et des personnes, non pas pour les crimes qu’ils auraient commis, mais pour le danger potentiel qu’ils pourraient représenter. Lentement, souvent avec émotion, les hommes et les femmes d’aujourd’hui s’arrêtent pour rendre hommage au destin tragique des internés d’hier. Autour des baraquements en ruine, ils tentent souvent simplement de comprendre.
Témoignages bouleversants
Devenu un véritable lieu de référence de l’histoire de l’internement et des déplacements contraints, le camp de Rivesaltes est le seul camp d’internement français qui possède encore des baraques intactes. À l’intérieur du musée didactique et pédagogique pour les générations à venir, au bout d’un long couloir, le public débouche sur une vaste salle aux murs emplis d’écrans qui délivrent des films et témoignages bouleversants. Sur une table immense de 30 mètres de long, petits et grands se penchent avec attention pour entrevoir un passé révélé et des objets d’un quotidien incertain.
A l’issue de ce parcours de mémoire de plusieurs heures, seul ou accompagné d’un guide, il faut prendre le temps de s’arrêter devant la stèle érigée en 1994 en mémoire de la déportation des Juifs, celle installée en 1995 pour les Harkis et enfin, en 1999, celle en hommage aux Républicains espagnols.
Mémorial du camp de Rivesaltes
Avenue Christian Bourquin
66 600 Salses le Château
04 68 08 39 70
La Maternité Suisse d’Elne, un lieu d’entraide et de solidarité
Et c’est bien dans les moments les plus difficiles que l’on se trouve parfois confronté aux plus grandes histoires de courage et d’abnégation. Comme celle d’Elisabeth Eidenbenz, une jeune infirmière suisse qui aida de nombreux réfugiés dont beaucoup de femmes, lors de la Retirada.
A l’automne 1939, elle crée la Maternité Suisse d’Elne pour permettre aux femmes internées dans les camps d’Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien ou de Rivesaltes, d’accoucher dans des conditions presque ordinaires. Ses ateliers et activités comme le chant ou la lecture sont autant de répits salvateurs, face au destin douloureux de la fuite, de l’exode et de l’exil. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Elisabeth continue à aider les femmes les plus vulnérables malgré les risques encourus : entre décembre 1939 et avril 1944 près de 600 enfants d’une dizaine de nationalités différentes y ont vu le jour et un millier de femmes et autant d’enfants y furent accueillis.
En 2002, Élisabeth Eidenbenz recevra la médaille des Justes parmi les nations pour son action exemplaire. La visite de la maternité constitue un parcours émouvant qui peut se faire en famille afin de découvrir une autre histoire basée sur l’espoir.
Maternité Suisse d’Elne
Château d'En Bardou, route de Bages
66 200 Elne,
+33 4 68 37 83 71
Terre de soleil mais aussi de mémoire, la découverte des musées, des hauts lieux et des camps d’internement attachés à la commémoration de la Retirada, permet de mieux cerner la diversité culturelle du département des Pyrénées-Orientales et du pays Catalan. Histoire de ne pas bronzer idiot sur les côtes du Midi…
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