lʼart dʼescargoter
Destination Cerbère
Dossier spécial : La Catalogne en train (#1/7)
Seuls quelques kilomètres les séparent l’une de l’autre, de chaque côté de la frontière franco-espagnole : Cerbère et Portbou, sa voisine, ne furent pendant longtemps que de modestes ports de pêche. Leur destin, cependant, bascula en 1870 par la volonté des deux pays riverains d’établir des relations ferroviaires. Ainsi la construction de deux immenses gares scella leur destin commun. Cerbère ne serait rien sans Portbou, et inversement !
Traduction de "Cervera de la Merenda" en catalan, ce n’est pas à sa position stratégique, ni à une quelconque fonction de gardienne que Cerbère doit son nom.
La différence d'écartement des voies : une aubaine ?
Tout ne fut pas si simple pour la nouvelle gare de Cerbère du fait de la différence d’écartement des voies entre les réseaux français et espagnol qui empêchait toute circulation dans le pays voisin. Mais c’est paradoxalement ce qui pouvait être considéré comme une anomalie, voire un handicap, qui allait assurer sa prospérité.
Car c’est l’ensemble des marchandises en provenance d’Espagne qui devait être transbordées d’un wagon à l’autre, donnant naissance à un métier purement local et entièrement féminin : les transbordeuses. On estime que pendant près de cent ans 5000 employées transbordèrent environs 20 millions de tonnes d’agrumes et 15 millions de marchandises diverses.
Du reste, la littérature s’est emparée du sujet donnant lieu à l’écriture de trois romans dont les transbordeuses sont les principales protagonistes. La mémoire collective retiendra qu’en 1906 les transbordeuses cessèrent le travail durant une année pour de meilleures conditions salariales, déclenchant le premier conflit social uniquement mené par des femmes.
L'épisode douloureux de la "Retirada"
Proche de la zone de conflit lors de la guerre civile espagnole, la gare de Cerbère fut bombardée par erreur par l’armée du général Franco en juin 1938.
Autre épisode douloureux l’année suivante, quand la petite ville de Cerbère vit passer une partie de l’armée Républicaine en déroute avec ses 45000 soldats, ses chars et véhicules blindés. Cette période méconnue appelée « La Retirada » (la retraite en français) marquait la défaite du camp Républicain et l’exode sur les routes du sud-ouest de la France précédant l’arrivée dans les camps d’internement construits à la hâte.
Une exposition itinérante du Mémorial de l'Exil témoigne de cette errance, le long du chemin du littoral.
Déclin et renouveau
Si Cerbère continua de progresser grâce à ses activités ferroviaires, les années 60 marquèrent le début d’un lent déclin dont les raisons sont multiples : la mécanisation de l’activité de transbordement tout d’abord, l’avènement du transport routier ensuite, enfin la suppression des barrières douanières. Dès lors, elle dut se réinventer.
Et son salut vint tout naturellement de l’activité touristique. Ainsi l’année 1974 vit la naissance de la première Réserve marine hexagonale destinée à enrayer la dégradation du littoral comme ce fut le cas pour la Catalogne espagnole. Seule réserve exclusivement marine, on a recensé jusqu’à 1700 espèces végétales et animales.
Elle préfigurait déjà la cité balnéaire à taille humaine qu’elle est devenue aujourd’hui. Un hôtelier visionnaire avait déjà anticipé le développement touristique de Cerbère dans les années 30 avec la construction du « Belvédère du rayon vert », un bâtiment avant-gardiste en forme de paquebot. Ce palace qui ne connut qu’une existence éphémère, avant d'ouvrir à nouveau il y a quelques années, est classé Monument historique depuis 2002.
Pour aller plus loin :
http://www.cerbere-tourisme.com
LE CHEMIN DE LA RETIRADA PR N°28 Chemin de mémoire qui retrace l’errance des réfugiés espagnols jusqu’à la borne frontière 505. https://www.pyrenees-cerdagne.com/planifier/activites/itineraires-de-randonnee/pr-28-le-chemin-de-la-retirada-2203019
EMISSION SUR LA ROUTE (Julie Gascon, France Culture) Sur la route... de la Retirada https://www.franceculture.fr/emissions/sur-la-route/la-retirada-quand-les-espagnols-fuyaient-le-franquisme
Le coin du ferrovipathe :
Accès à la gare de Cerbère depuis Toulouse, Avignon, Narbonne et Perpignan par trains T.E.R. (certains trains sont prolongés jusqu'à Portbou (Espagne) avec correspondance pour Barcelona).